MANIFESTATIONS : Quelles sont les voies de recours ouvertes aux commerçants pour l’indemnisation des préjudices subis
Dans ce climat récurrent de manifestations, entrainant son lot de dégradations, les commerçants victimes de ces agissements peuvent, à leur tour faire front, et user des voies ouvertes par le législateur pour obtenir une indemnisation des préjudices subis.
Le système législatif français peut avare, comme chacun sait, en textes de loi et autres normes, prévoient en réalité, principalement trois actions, en fonction des responsabilités recherchées.
- La responsabilité de l’Etat :
L’article L.2216-3 du Code général des collectivités territoriales dispose que : « L’État est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens.
Il peut exercer une action récursoire contre la commune lorsque la responsabilité de celle-ci se trouve engagée. »
Il ressort donc de ce texte que la responsabilité de l’Etat peut être engagée, devant la juridiction Administrative, lorsque trois critères cumulatifs sont réunis :
. Les dégâts doivent résulter de crimes ou délits commis à force ouverte ou par violence. (ce qui recouvre ainsi les atteintes aux personnes physiques, dégradations de biens, délits d’entrave à la circulation…)
. Ces dommages doivent être la conséquence directe et certaine de ces crimes et délits.
Il importe de relever, à ce titre, que l’existence d’un lien direct et certain entre le préjudice subi et le fait générateur est strictement interprétée par le juge administratif.
Ainsi, le Conseil d’Etat a précisément jugé que «l’application de l’article L.2216-3 du CGCT est subordonnée à la condition que les dommages dont l’indemnisation est demandée résultent de manière directe et certaine de crimes ou de délits déterminés commis par des rassemblements ou des attroupements précisément identifiés» .
Dès lors, il a pu être considéré qu’une société requérante, invoquant un blocage du réseau routier et autoroutier au niveau national «sans établir de lien avec un barrage précisément identifié» et les dégâts subis par elle, n’était dès lors pas fondée à solliciter l’engagement de la responsabilité de l’Etat sur ce fondement. (CE 27 juin 2005 SAS vergers d’Europe)
. L’auteur des dommages et dégâts doit être un «attroupement» ou un «rassemblement».
L’application de ces dispositions est donc subordonnée à la condition que les dommages, dont il est demandé l’indemnisation, résultent de manière directe et certaine de crimes ou de délits commis par des rassemblements ou des attroupements précisément identifiés.
Cependant, aucune définition des rassemblements ou des attroupements n’ayant été donnée par le législateur, la jurisprudence est venue compléter cette lacune en considérant ainsi qu’il y a attroupement quand, de façon préméditée ou occasionnelle, dans un lieu public ou privé, se trouvent des personnes animées d’un même esprit, groupées ou en nombre tel qu’il est de nature à faire disparaître la personnalité de chacun des individus faisant partie du groupe derrière la personnalité propre de celui-ci.
Ainsi et sur la base de ces critères, l’Etat a pu être, par exemple, condamné à indemniser une société en réparation, des délits d’entrave à la circulation routière, et de détériorations volontaires d’objets mobiliers appartenant à autrui, perpétrés par un attroupement de viticulteurs agissant dans le cadre de manifestations organisées sur la voie publique. (CAA BORDEAUX 16 novembre 1998)
De même, le juge administratif a pu reconnaitre la responsabilité de l’Etat lorsque des jeunes mécontents de se voir refuser l’entrée dans une discothèque se sont réunis spontanément devant et ont dégradés l’établissement. (CE 13décembre 2002 Compagnie assurances de Lloyd’s de Londres)
- La responsabilité des organisateurs des manifestations :
La jurisprudence a toujours été, légitimement, réticente à voir consacrer la responsabilité civile des organisations syndicales aux fins de ne pas menacer, par des sanctions pécuniaires, l’exercice de la liberté syndicale et le droit de grève.
Ainsi, il est admis par exemple, « qu’un syndicat n’ayant ni pour objet ni pour mission d’organiser, de diriger et de contrôler l’activité de ses adhérents au cours de mouvements ou manifestations auxquels ces derniers participent, les fautes commises personnellement par ceux-ci n’engagent pas la responsabilité de plein droit du syndicat auxquels ils appartiennent.
Le tribunal d’Instance, statuant en dernier ressort, ayant constaté que des membres de syndicats adhérents de la F… avaient dégradé les abords d’un supermarché au cours d’une manifestation, a dès lors décidé à bon droit que la F…. ne pouvait être déclarée responsable de plein droit, sur le fondement de l’article 1384 al 1 du Code Civil, des fautes de ses membres. (Cour de Cassation 2ième Civ 26 octobre 2006 n°04-11.665).
L’éventuelle responsabilité pourrait toutefois survenir dans la défaillance de l’organisation de la manifestation, à condition qu’elle puisse être caractérisée et démontrée.
Ainsi, la Cour d’Appel de COLMAR a par arrêt du 21 janvier 2002 considéré que « les organisateurs d’une manifestation publique sont mal venus à faire valoir le fait que le nombre de participants ayant atteint 200 personnes dépassait leur prévision alors que ce nombre apparaît dans leur déclaration de manifestation.
Ainsi en restant en fin de cortège à vélo alors qu’une bonne organisation aurait impliqué une répartition des organisateurs dans le cortège et surtout la présence de l’un d’eux sur le lieu de destination ce qui aurait permis d’éviter que les participants libres ne fussent livrés à eux-mêmes et soient tentés de commettre des dégradations en attendant l’arrivée des organisateurs, dégradations encouragées par les termes du tract annonçant la manifestation et prévoyant des « action symboliques ».
Les organisateurs ont ainsi fait preuve de négligences et d’imprudences caractérisées qui sont à l’origine de la réalisation du dommage, et doivent être condamnés à réparation sur le fondement de l’article 1383 du Code Civil »
- La responsabilité pénale des fauteurs de trouble :
Naturellement, des poursuites pénales peuvent être engagées, à la suite d’un dépôt de plainte du commerçant ou, à l’initiative du procureur de la République.
Toutefois, aux fins de pouvoir réclamer une indemnisation, sous la forme d’une constitution de partie civile, cela implique que les individus responsables des dégradations puissent être identifiées individuellement et, ensuite, poursuivis devant la juridiction répressive.
A l’heure de la médiatisation de tous « exploits » personnels sur Facebook et autres réseaux sociaux, il peut être espéré, au moins un avantage, celui-de pouvoir identifier plus facilement les responsables…